De l’élégance et du dandysme
Le dandy est un individualiste. « Un individualiste
réfractaire et rebelle », dit de lui Antoine Compagnon . Il s’exclut
volontairement de la société dont il méprise les règles et la morale. Prendre
un état lui répugne : plutôt mourir que de gagner sa vie. Il meurt de toute
façon et, avant, il perd souvent : la société, dont il peut étonner un temps
les élites, lui fait payer cher son indépendance. Elle l’oublie, elle l’exile,
elle l’emprisonne, elle le déclare fou, elle l’accule au suicide – c’est selon.
Le bourgeois est son ennemi. Il hait ses certitudes, sa panse et sa
bien-pensance. Aristocrate, il l’est par essence, sinon par naissance. Il
provoque et il transgresse. Son arme favorite, c’est l’ironie, cette langue
dans la langue que ne comprendront jamais les convaincus et les importants. Il
ne manque pas de tact, dans le sens où, selon la formule de Cocteau, il sait «
jusqu’où aller trop loin ». Mais, à force de côtoyer les limites, il lui arrive
de les outrepasser. Ses juges sont alors impitoyables : « Menez à son lit cet
ivrogne », dit le prince de Galles à son
domestique en lui désignant Brummell qui venait de commettre la provocation de
trop.
Son destin tient de la tragédie. Il se dresse seul contre
l’absurdité de l’existence. Ni l’amitié ni l’amour ne lui sont d’aucun secours.
Il est antiphysis. La chair, au fond, le dégoûte ; il la couvre d’un voile – le
plus beau voile qui soit. L’habit, c’est l’apparence qu’il s’est choisi, celle
qui s’accorde aux couleurs de son âme. Son unique soutien, c’est lui-même, ou
plutôt l’idée qu’il se fait de lui.
Son but est connu : faire de sa vie une œuvre d’art. Il
parle comme une musique, il bouge comme une danse, il pense comme une maxime,
il pose comme un portrait. Poseur, il l’est – dans le genre, c’est même un
modèle ! Artiste, le dandy prend sa vie pour matière de son art. Son œuvre, dès
lors, ne peut être que périssable : « C’était sur place qu’était sa valeur »,
dit Barbey de Brummell. En un sens, les grands dandies furent des « performeurs
» avant l’heure. Ils firent d’eux-mêmes les sujets et les objets de leur
création. Un dandy qui se regarde dans le miroir, c’est un peu comme un amateur
de peinture qui contemple un Vinci.
Ecrivains, les dandies le sont souvent Et quand ils ne le
sont pas, leur vision de la vie est tout de même littéraire. Certains – parce
qu’ils avaient l’étoffe de héros – ont inspiré de grands romans. Qui n’est pas
imprégné de littérature peut-il saisir l’essence du dandysme ? Ma question vaut
réponse.
Il est sociable. Il peut être mondain. Sa courtoisie n’est
jamais prise en défaut. Ses relations sont nombreuses, qui assoient sa
réputation. Connaît-il l’enthousiasme ? Il n’hésite pas, en tout cas, à montrer
sa satisfaction. Il sourit plus qu’il ne rit. Il se prête et ne se donne pas.
Il aime la vie et ses plaisirs. Profondément, c’est un matérialiste. Lui se
plaît à se qualifier d’épicurien.
Il ne déteste pas l’art (les artistes, c’est à voir), mais
le comprend-il vraiment ? L’aventure de l’art, il la laisse courir à d’autres.
Il aime le beau – pas le bizarre.
Le dandy et l’homme élégant se retrouvent dans leur refus
des épanchements faciles. Face à la souffrance, ils font front, par stoïcisme
ou par respect des convenances. Peut-on dire que le dandysme commence là où
finit l’élégance ? Je ne connais pas de dandies dignes de ce nom qui aient
ignoré les règles de celle-ci. Leur maîtrise est un préalable nécessaire à
l’éclosion du dandysme. On a écrit que le dandysme pouvait se définir comme «
un paroxysme de l’élégance ». Arrivé au terme de ma confrontation – dont je
perçois les limites et les simplifications -, je dirais plutôt qu’il en est un
dépassement.
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