Pages

dimanche 29 janvier 2012

le dandy


De l’élégance et du dandysme
Le dandy est un individualiste. « Un individualiste réfractaire et rebelle », dit de lui Antoine Compagnon . Il s’exclut volontairement de la société dont il méprise les règles et la morale. Prendre un état lui répugne : plutôt mourir que de gagner sa vie. Il meurt de toute façon et, avant, il perd souvent : la société, dont il peut étonner un temps les élites, lui fait payer cher son indépendance. Elle l’oublie, elle l’exile, elle l’emprisonne, elle le déclare fou, elle l’accule au suicide – c’est selon. Le bourgeois est son ennemi. Il hait ses certitudes, sa panse et sa bien-pensance. Aristocrate, il l’est par essence, sinon par naissance. Il provoque et il transgresse. Son arme favorite, c’est l’ironie, cette langue dans la langue que ne comprendront jamais les convaincus et les importants. Il ne manque pas de tact, dans le sens où, selon la formule de Cocteau, il sait « jusqu’où aller trop loin ». Mais, à force de côtoyer les limites, il lui arrive de les outrepasser. Ses juges sont alors impitoyables : « Menez à son lit cet ivrogne », dit  le prince de Galles à son domestique en lui désignant Brummell qui venait de commettre la provocation de trop.

Son destin tient de la tragédie. Il se dresse seul contre l’absurdité de l’existence. Ni l’amitié ni l’amour ne lui sont d’aucun secours. Il est antiphysis. La chair, au fond, le dégoûte ; il la couvre d’un voile – le plus beau voile qui soit. L’habit, c’est l’apparence qu’il s’est choisi, celle qui s’accorde aux couleurs de son âme. Son unique soutien, c’est lui-même, ou plutôt l’idée qu’il se fait de lui.

Son but est connu : faire de sa vie une œuvre d’art. Il parle comme une musique, il bouge comme une danse, il pense comme une maxime, il pose comme un portrait. Poseur, il l’est – dans le genre, c’est même un modèle ! Artiste, le dandy prend sa vie pour matière de son art. Son œuvre, dès lors, ne peut être que périssable : « C’était sur place qu’était sa valeur », dit Barbey de Brummell. En un sens, les grands dandies furent des « performeurs » avant l’heure. Ils firent d’eux-mêmes les sujets et les objets de leur création. Un dandy qui se regarde dans le miroir, c’est un peu comme un amateur de peinture qui contemple un Vinci.



Ecrivains, les dandies le sont souvent Et quand ils ne le sont pas, leur vision de la vie est tout de même littéraire. Certains – parce qu’ils avaient l’étoffe de héros – ont inspiré de grands romans. Qui n’est pas imprégné de littérature peut-il saisir l’essence du dandysme ? Ma question vaut réponse.

 L’homme élégant est intégré à la société. Il ne nourrit aucune haine contre elle. Légitimiste, il admet ses lois, sans s’interroger par principe sur leur bien-fondé. D’instinct, il pense que la tradition a raison. Les traditions sont des progrès qui ont réussi. Il se les approprie, pas mécontent que le destin l’ait dispensé du rôle risqué de pionnier. De même, il respecte la morale – au moins fait-il en sorte que les apparences soient toujours sauves. Dans ses manifestations sociales, il se montre toujours impeccable – impeccable dans sa mise et dans ses manières. Il sait, quelles que soient les circonstances, avoir de la tenue. Il a du quant-à-soi et du respect humain. Il se défie de l’ironie, dans laquelle il n’est pas loin de voir les prémices de la subversion. C’est un bourgeois, dans le sens où il place très haut son confort – matériel et moral. Mais, du bourgeois, il a su gommer les aspérités vulgaires.

Il est sociable. Il peut être mondain. Sa courtoisie n’est jamais prise en défaut. Ses relations sont nombreuses, qui assoient sa réputation. Connaît-il l’enthousiasme ? Il n’hésite pas, en tout cas, à montrer sa satisfaction. Il sourit plus qu’il ne rit. Il se prête et ne se donne pas. Il aime la vie et ses plaisirs. Profondément, c’est un matérialiste. Lui se plaît à se qualifier d’épicurien.

Il ne déteste pas l’art (les artistes, c’est à voir), mais le comprend-il vraiment ? L’aventure de l’art, il la laisse courir à d’autres. Il aime le beau – pas le bizarre.

Le dandy et l’homme élégant se retrouvent dans leur refus des épanchements faciles. Face à la souffrance, ils font front, par stoïcisme ou par respect des convenances. Peut-on dire que le dandysme commence là où finit l’élégance ? Je ne connais pas de dandies dignes de ce nom qui aient ignoré les règles de celle-ci. Leur maîtrise est un préalable nécessaire à l’éclosion du dandysme. On a écrit que le dandysme pouvait se définir comme « un paroxysme de l’élégance ». Arrivé au terme de ma confrontation – dont je perçois les limites et les simplifications -, je dirais plutôt qu’il en est un dépassement.

Merci au chouan des villes pour cet article !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire